Agenda de la Nouvelle-Aquitaine à Paris
< Retour à l'agendaChantal Thomas - Retour vers la plage départ
Son dernier ouvrage, De sable et de neige (Mercure de France) est sorti en janvier 2021, au moment même où elle était élue à l’Académie française, au fauteuil N°12 de Jean d’Ormesson. Chantal Thomas, écrivaine, essayiste, historienne, directrice de recherches au CNRS, est la dixième femme à devenir Immortelle. On imagine qu’elle aura un peu du sable du Bassin d’Arcachon sous la semelle de ses souliers en entrant sous la Coupole, que les vagues de l’océan atlantique mêlées aux cris des mouettes résonneront encore dans sa tête, que tous les paysages et souvenirs de son enfance accompagneront ses pas dans l’illustre demeure, comme ils ont nourri beaucoup de ses récits.
Elle a grandi dans la maison familiale de la ville d’automne à Arcachon, a fait ses classes au lycée Grand Air avant de rejoindre l’université de Bordeaux pour des études de lettres supérieures puis une licence de philosophie. Son parcours universitaire l’a conduite plus loin. Aix-en-Provence pour une maîtrise de philosophie, Paris pour une licence d’histoire de l’art et un doctorat de 3eme cycle sous la direction de Roland Barthes, encore un doctorat de 3eme cycle à l’Université Lumière Lyon 2.
Chantal Thomas n’a cessé de parcourir le monde. Elle enseigne la littérature aux Etats-Unis, devient conférencière internationale en Argentine, en Russie, au Japon, à Taïwan, à Hong Kong, se fixe un peu à Paris au CNRS, un peu à Lyon à l’Institut des sciences de l’homme, un peu à Nice pour le plaisir de plonger dans la Méditerranée, souvent à New York restée chère à son cœur.
La maturité venant, c’est vers le Bassin qu’elle est retournée chercher l’inspiration pour ses récits intimistes. « J’ai un penchant pour les pommes de pin d’une sculpture si délicate, j’en ramasse un maximum chaque fois que je reviens » écrit-elle.
Elle va marcher dans les rues du Cap Ferret, rejoint des amis Chez Hortense, déguste des huîtres en buvant un Château Graville-Lacoste, et en attendant la pinasse sur la jetée de Belisaire elle admire « l’étrange clarté de la dune du Pilat ». Il lui a fallu du temps pour surmonter le départ de son père le 2 janvier 1963 « seul dans la froideur et l’indifférence d’une chambre de clinique ». Il avait 43 ans. Ce dessinateur industriel à la Cellulose du Pin était un taiseux. Elle ne cite pas son prénom, il reste le père qui lui a transmis le goût des balades en bateau autour de l’Ile aux Oiseaux, des descentes à ski sur les pistes d’aiguilles de pins et des escalades dans les Pyrénées. Sa mère Jackie lui a insufflé son élan vital, ses grands-parents paternels, Emile et Aline Thomas de La Teste-du-Buch, ou maternels, Félix et Eugénie Forget, comme le tonton Pierre de Cazeaux et son amie Lucile , complice de ses jeux de plage, retrouvent toute la place qui leur revient dans De sable et de neige.
Île aux Oiseaux & Plage Pereire © B.Ruiz • Pointe du Cap Ferret ©JP Bellon - pour plus d'information, accéder au site officiel du Bassin d'Arcachon
Spécialiste du XVIIIe siècle, Sade et Casanova n’ont aucun secret pour elle, de même Marie-Antoinette dont elle a raconté le tragique destin dans Les adieux à la reine adapté au cinéma par Benoît Jacquot. Il y a eu ensuite L’échange des princesses également porté à l’écran par Marc Dugain. Cinéma, théâtre, littérature, essais, recherche, enseignement, Chantal Thomas explore tous les domaines de la culture et de la création. Mais elle garde une partie de son cœur en Nouvelle-Aquitaine. Lorsque Yves Harté alors directeur de la rédaction de Sud-Ouest lui propose de tenir une chronique mensuelle dans le journal, elle saisit l’occasion de renouer des liens devenus invisibles. De 2014 à 2018 elle raconte ses saisons, ses voyages, ses envies, souvent depuis la table d’un bistrot lointain. Ses Cafés Vivre seront édités par Le Seuil et rejoignent ses Cafés de la mémoire où elle évoquait ses jeunes années.
« J’ai ressenti plus fort mon lien avec Arcachon, j’y ai ancré mon écriture vagabonde » reconnait-elle.
Son premier livre autobiographique Souvenirs de la marée basse montrait déjà ce qu’elle lui devait dans son rapport au temps, à la nature et surtout à la liberté. Elle a une petite voix douce presque étouffée alors que son regard pétille d’énergie. La rigueur, l’intelligence et l’érudition, comme son style sensuel, entrent avec elle dans l’institution fondée par Richelieu pour « contribuer au perfectionnement et au rayonnement des lettres ». Ecrivaine d’une élégance rare, dans sa prose comme dans sa vie, Chantal Thomas n’oublie pas la petite fille fougueuse qui déclarait à l’entrée de la jetée d’Eyrac* : « Où c’est le plus beau, c’est là où j’habite ! ».
La voici sous les boiseries dorées de la Coupole à deux pas de la Seine plus calme que l’Atlantique dont elle vénère « la dimension tragique ». Et le Bassin continue de revenir vers elle, « intense et plein de mystères », comme son propre portrait en reflets tremblés.
Recueilli par Régine Magné
*La jetée d'Eyrac s'appelle aujoud'hui jetée Pierre Lataillade